« Ancora Imparo »

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Ancora Imparo signifie « Je continue d’apprendre », et cette phrase trouve tout son sens lorsque l’on sait que Michel Ange l’a prononcée à l’âge de 87 ans.

Cette devise est la mienne depuis la fin de mon éducation. Un apprenant est un Sisyphe éternel…

Hatem BOURIAL

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Vient de paraitre – « Klee, Macke, Moilliet » ou la genèse d’un voyage mythique

Le Goethe-Institut en Tunisie vient de faire paraitre un ouvrage consacré au « Tunisreise », le voyage en Tunisie de trois artistes européens en 1914. Ce livre consacré à Paul Klee, August Macke et Louis Moilliet est en fait le catalogue accompagnant l’exposition des oeuvres de ces trois peintres qui se poursuit actuellement au musée du Bardo.
L’ouvrage, sobrement intitulé « Klee, Macke, Moilliet », est publié en Tunisie par les éditions Cérès. Tout comme l’exposition, ce livre a bénéficié du soutien de nombreuses institutions en Tunisie, en Suisse et en Allemagne.
C’est le ministère des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne qui est le principal financeur de ce projet, le Goethe-Institut étant mandaté par ses soins. En Suisse, c’est la fondation Pro Helvetia et l’ambassade de Suisse en Tunisie qui ont été les principaux sponsors. Enfin, le ministère de la Culture tunisien est bien évidemment le premier appui à cet événement qui bénéficie également de l’apport de la fondation Lazaar et de plusieurs entreprises tunisiennes.
L’éloge de la lumière tunisienne
Paul-Klee-Red-and-Yellow-Houses-in-TunisCet album de 112 pages est essentiellement dédié à la reproduction des oeuvres exposées au Bardo. Ainsi, 33 dessins et peintures  sont présents dans cet ouvrage qui, d’ailleurs, une fois n’est pas coutume, fait la part belle à Louis Moilliet. En effet, 21 oeuvres de Moilliet sont présentées dans l’ouvrage dont certaines ont été réalisées au Maroc.
Ce n’est que justice car, au fond, c’est ce peintre suisse qui était à l’origine du voyage de 1914. De plus, ce sera le plus fidéle à la Tunisie car il y reviendra à plusieurs reprises. Trés structurées, les oeuvres de Moilliet valent autant par leur dimension chromatique novatrice  que par le surprenant hommage aux impressionnistes qu’elles recélent. Allant au bout de l’éloge de la lumière tunisienne, Moilliet instaure un monde clair aux couleurs chaudes  qui demeure similaire des approches que déploiera Paul Klee.
Ce dernier est present à travers cinq oeuvres seulement, pour l’essentiel des dessins et esquisses qui ne disent pas grand chose de l’impact profond du voyage de Tunisie sur ce peintre. Toutefois, Klee est le fil rouge de cet ouvrage grâce à la publication in extenso des pages de son Journal relatives au « Tunisreise ». Ainsi, 25 pages de cet album nous mettent dans les pas et le regard de Klee qui, à sa manière, raconte le périple et les tribulations des trois artistes.
August Macke maintenant qu’un destin funeste emporta quelques mois après son voyage tunisien. On retrouve sa trace à travers sept oeuvres dont cinq furent réalisées en 1914 en Tunisie, des dessins et esquisses encore une fois. Là aussi, la mise est sauvée par deux autres éléments.
D’une part, la couverture de l’ouvrage est signée Macke et représente un marchand de bijoux en 1914. D’autre par, une section du livre reprend quatre photographies prises par Macke lors du voyage des trois compagnons.
Tels sont les contours de l’ouvrage qui est complété par deux textes, une introduction et la préface de Christiane Bohrer, directrice du Goethe-Institut de Tunis.
Une trace de l’exposition du Bardo
expo-klee-make-moillet-bardoEdité par Anna M. Schafroth, cet ouvrage est naturellement introduit par celle qui est la conceptrice de l’exposition. Dans son introduction, elle revient sur les conditions du jubilé de 2014, revient sur les grands axes du « Tunisreise » et justifie le choix des oeuvres exposées.
Schafroth signe également un texte intitulé « Paul Klee, August Macke et Louis Moilliet en Tunisie ». Elle y souligne l’importance du voyage au Maghreb pour les artistes, revient sur la genèse de ce voyage puis analyse certaines des oeuvres exposées.
Un second texte, intitulé « La Régence de Tunis à l’aube du XXème siècle » compléte l’ouvrage. En sept pages, Saloua Khaddar Zangar y revient sur le contexte socio-politique de la Tunisie de l’époque et mentionne rapidement écrivains et peintres de renom ayant visité la Tunisie à cette époque. Ce texte s’achéve sur les tiraillements de la société tunisienne pendant les années trente.
Dans sa préface qui ouvre l’ouvrage, Christiane Bohrer revient sur les conditions de la naissance de ce projet. Elle évoque aussi bien la disparition subite de Hamadi Cherif qui avait rêvé de ce projet que le soutien allemand à la transition tunisienne. Elle souligne aussi l’implication grandissante des ambassades allemande et suisse en Tunisie ainsi que le soutien des autorités tunisiennes avec à leur tête le ministre de la Culture, Mourad Sakli, et le directeur du musée du Bardo Moncef Ben Moussa.
Bohrer profite de cette préface pour remercier les nombreux sponsors dans les trois pays concernés et saluer le travail soutenu du curateur de l’exposition Anna Schafroth.
Au delà, la directrice de l’institut Goethe note que jamais une exposition d’originaux du voyage de 1914 n’avait été réalisée en Tunisie. Ce qui est désormais chose faite…
Une chronologie, une bibliographie et une mention du catalogue des oeuvres complétent ce livre-catalogue qui vient juste de paraitre, instaurant une trace de l’exposition qui se poursuit au Bardo et constitue l’un des événements majeurs de la saison culturelle.
Hatem BOURIAL

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Arts plastiques – Les liasses éberluées de Leïla Shili

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Pour sa première exposition personnelle, Leila Shili est doublement adoubée. Par Mongi Maatoug d’abord, ancien doyen des artistes plasticiens, enseignant aux Beaux-Arts et peintre devant l’Eternel. Par Kaouther Jellazi Ben Ayed, critique dont les travaux investissent le domaine des arts, avec une attention particulière aux techniques picturales.
Avec ces deux soutiens de taille, Leila Shili pouvait aussi compter sur trois autres atouts. En premier lieu, le flair rarement démenti de Lotfi El Haffi et Amina Hamrouni, animateurs de la galerie Mille Feuilles qui abrite l’exposition. Ensuite, c’est le thème de l’exposition, son fil conducteur qui consiste en un concept clair, nouveau et surtout singulier.
Enfin, Shili pouvait compter sur l’expérience engrangée au fil des années antérieures durant lesquelles elle a multiplié les participations au sein de nombreuses expositions de groupe.
Un parcours de dix ans
Car Shili ne sort pas de nulle part mais surgit, soliste chromatique, après une maturation d’une dizaine d’années au cours desquelles elle a participé à neuf expositions de groupe en Tunisie et quatre autres à l’étranger.
Ne nous trompons pas: il ne s’agit pas de participations symboliques car l’artiste figure parmi les acquisitions de notre ministère de la Culture mais aussi d’institutions publiques et privées en Chine, en France ou au Canada. Ce qui permet de mesurer le chemin parcouru par cette ressortissante de l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis qui, tout en ayant remporté son master en 2007, poursuit actuellement une thèse en doctorale.
Ce parcours relatif mais balisé par de nombeuses récompenses souligne la permanence de la quête de Leila Shili et ses ambitions dans le domaine pictural. En effet, cette jeune artiste est, entre autres prix, récipiendaire du Challenge ATB et du prix CTAM’ART. A ce titre, la première exposition de Leila Shili a bénéficié du soutien de l’ATB, sponsor de l’événement et éditeur d’un catalogue de 26 pages qui compile une quinzaine d’oeuvres ainsi que les deux textes critiques de Mongi Maatoug et Kaouther Jellazi Ben Ayed.
Natures mortes et Monopoly virtuel
Le titre de l’exposition est tout un programme puisqu’il fait rimer les pigments du peintre avec le pognon du banquier. Probable clin d’oeil à son sponsor, Shili a choisi la thématique de l’argent pour les oeuvres qu’elle expose. L’ensemble de la collection est constitué de tableaux d’un format appréciable (100 sur 130cm).
Et de l’argent, il en sera question dans chaque oeuvre, assortie d’un titre qui renvoie au patrimoine populaire tunisien, aux mille dictons et proverbes ayant trait aux sous qu’on amasse un par par un ou encore au grisbi qui n’a pas d’odeur.
Toutes les déclinaisons sonnantes et trébuchantes défilent en peinture. Du fric, de l’oseille et de la grosse galette! Du péze, du pognon et des radis bien ronds! De l’artiche, de l’avoine, du flouze! En un mot, c’est un hymne au fric, du petit denier qui traine au fond d’une poche aux pécules aux allures de trésor.
cb1287_b3c90a0f1841f380fda2735d21eb54f8.jpg_1024Shili joue. Cette exposition est un jeu, une sorte de Monopoly virtuel, un espace ludique au sein duquel billets de banque et piéces de monnaie se transforment en protagonistes de l’artiste créateur.
Des sacs, des pelles et des fontaines métaphoriques peuplent les toiles de Shili dont la technique et la gestion de l’espace pictural sont assimilables à celles d’un Abderrazak Sahli ou d’un Combas.
Un espace eclaté, des motifs en déséquilibre et une occupation de la toile par des fragments qui s’interpellent sont la méthode choisie par Shili pour cette collection qui, parfois, prend des allures de cadavres exquis surréalistes. Ainsi, certaines toiles font cohabiter billets voletant avec des gouttières qui déversent de l’argent.
Mieux encore, Shili détourne la technique des natures mortes pour figurer vases et récipients garnis d’argent en lieu et place des traditionnels fruits et agrumes. Surprenantes compositions florales qui cherchent la beauté plastique dans une liasse de billets ou la surface plane d’un vide-poche. Rien que cette série de natures inanimées voire trébuchantes mérite le détour pour son caractére iconoclaste par rapport à la tradition de la nature morte et ses ricochets intellectuels qui, au fond, sonnent comme une supplique brocardant inflation galopante et argent raréfié.
Dans cette optique, Leila Shili parvient à dire notre époque, l’omniprésence du matériel, les marchands du temple et la valeur débridée d’un pognon qui remplace tout. En transfigurant des natures mortes, en semant des billets partout, elle ne fait que rendre compte, forte de son regard d’artiste, de nos obsessions, de cette propension à voir de l’argent partout.
La réminiscence des « xenia » antiques
C’est ainsi que Leila Shili tente de bouleverser notre regard, nous mettre face à des toiles qui s’apparentent à des espaces hallucinatoires ou l’argent volerait à tout vent. En vérité, il s’agit, dans une dimension métaphorique, d’un beau pied-de-nez à une époque qui ne pense qu’argent, ne rêve que capital, ne vibre que pognon, s’enlisant ainsi dans une aliénation dont Shili traque la présence dans ses toiles.
Dans cette collection détonante, il est d’autres oeuvres singulières. Il s’agit d’une série de poules pondeuses entourées de probables oeufs d’or. Sur quatre niveaux et selon une géométrie raisonnée, Shili peint des poules multicolores qui, bien évidemment, renvoient à l’imagerie de la poule aux oeufs d’or. Toutefois, ce faisant et de manière probablement inconsciente, elle recrée dans sa toile la démarche du « pictor imaginarius » de l’Antiquité, ce maître-mosaiste qui dessinait le monde à l’aide de ses tesselles. Comment procéde Shili? En fait, ces toiles en particulier respondent à la distribution spatiale des « xenia », mosaiques de bienvenue et offrandes rituelles. On peut voir ce type de mosaiques un peu partout dans nos musées. Et il est aussi surprenant que remarquable qu’un artiste contemporain reprenne à son compte cette tradition tout en la chambardant.
C’est dire les nombreux registres de références d’une Leila Shili qui convainc et instaure un univers bien à elle. Des couleurs dans toutes les tonalités, des formes vacillantes ou affirmées et, selon les séries, des équilibres géométriques ou le recours à l’onirisme. Une exposition comme on les aime car elle titille l’esprit et ouvre des espaces intellectuels sous-jacents à chaque regard.
A voir absolument!
Hatem BOURIAL

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Il s’appelait Aboul Kacem…

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Est-ce ce moment d’extrême solitude qui me lie insécablement à Aboul Kacem Chebbi? C’était en cette journée du 13 janvier 1930, lorsque se présentant à la medersa Slimania pour y donner une conférence, Chebbi se retrouva face à une salle vide.

Ce jour-là, il composa son fameux poème «Le Prophète méconnu»…
Est-ce plutôt cette incroyable bataille d’Hernani qui suscite mon admiration pour Chebbi? C’était le 1er février 1929, en plein mois de Ramadan.

La Khaldounia réunissait ce jour—là un public nombreux venu écouter le jeune Aboul Kacem—il  n’avait pas encore vingt ans!—plaider la cause du renouveau poétique. Il restera de cette journée une mémorable conférence sur le thème de l’imaginaire poétique chez les Arabes qui, en son temps, bouscula les conformismes et les certitudes confortables.

J’aurais beaucoup de mal à dire ce qui, véritablement, me lie à Chebbi. Car, dans sa vie, tout fut placé sous le sceau de tous les mystères, à l’aune de la poésie. Ainsi est-il véritablement né un 24 février?

Nul ne le sait vraiment: seule certitude, l’année 1909 fut celle de sa naissance et, de son vivant, il n’apporta aucun démenti à cette date du 24 février.

Cette naissance, nimbée d’incertitude, donne dès l’abord une aura de fragilité à ce grand poète.
Cette fragilité, je la retrouve dans ses vaines tentatives d’éditer le livre dont il était si fier. En ce tournant des années trente, «Aghani el hayat» sera proposé en souscription pour la modique somme de quinze francs de l’époque. Pourtant, ils ne seront pas nombreux ceux qui s’en porteront acquéreurs par anticipation.

En conséquence, le livre ne vit pas le jour. Pire, il ne faillit jamais paraître. Et ce ne sera qu’en 1955 que cet ouvrage, cardinal dans l’œuvre de Chelbi, verra le jour. Plus de vingt ans après la mort du poète…
Comment retrouver véritablement Aboul Kacem?

Faudrait-il revenir à ses premiers pas dans l’enceinte de l’austère Zitouna? Il n’avait qu’à peine douze ans lorsqu’il franchit ce seuil, ce qui, symboliquement, signifiait tourner le dos à la modernité et se plonger dans la transmission d’un enseignement menacé de sclérose.

Et pourtant, Chebbi saura transcender les rigueurs et pesanteurs de sa formation zeitounienne. Au point de  participer activement quelques années plus tard au conseil des réformes de la scolastique ambiante, parmi les étudiants de sa génération les plus imprégnés de l’esprit de progrès.

De fait, le jeune Aboul Kacem saura se libérer de tous les carcans rigides qui enserraient le parcours scolaire de son temps. Il saura en effet mettre à profit ses amitiés pour découvrir l’atmosphère frémissante du cercle de la Khaldounia et les idées nouvelles échangées dans le cadre du club des anciens sadikiens. C’est à cette fertile confluence qu’il renaîtra au monde et commencera, dès quatorze ans, à composer ses premières poésies.

Ecrire ne suffit jamais! Engagé dans une bataille formelle contre le classicisme, Chebbi multiplie les initiatives et les combats. Sa nouvelle assurance venait du fait que ses poèmes étaient désormais publiés dans le journal «Ennahdha». Elle provenait également du compagnonnage avec plusieurs écrivains, artistes et militants de ces années vingt.

Chebbi était de toutes les novations: militant associatif, président de l’amicale estudiantine et aussi animateur actif, avec Zinelabidine Snoussi, du cercle littéraire de l’imprimerie «Al Arab» à la rue Saïda Ajoula, dans la médina de Tunis. Il n’avait que dix-huit ans mais figurait déjà en bonne place dans l’anthologie littéraire publiée par Snoussi pour célébrer les écrivains contemporains.
Impressionnant labyrinthe d’une époque où les nouvelles idées fusaient de toute part pour questionner l’immobilisme. Parfois, en recherchant ce lieu que je cultive avec Aboul Kacem, il m’arrive de retracer la topographie d’une ville idéale que j’arpente à la recherche des rêves d’une génération. Peu de traces subsistent, mais  elles sont suffisamment nombreuses pour susciter la rêverie d’un promeneur nécessairement solitaire. Ainsi, me suffit-il d’emprunter l’étroite rue des libraires pour replonger dans cet univers d’où allait émerger notre littérature moderne.

Et, à chaque fois, c’est cette impression de solitude qui prédomine: celle de ceux qui choisissent de ramer à contre-courant, le cœur toujours gonflé d’espoir, l’esprit toujours occupé par des desseins sublimes et une méditation profonde.

Souvent, je me suis posé la question suivante: Aboul Kacem redoutait-il les conséquences de ce courage? Car, à chaque étape de sa courte vie, il s’était affirmé dans la liberté singulière du créateur mais aussi dans celle, plus politique, de l’individu en rupture avec la longue et lourde tradition.

Une interrogation me taraude parfois: quels étaient véritablement ses rapports avec le père? Ce dernier comprenait-il, approuvait-il, reprochait-il ses engagements au fils iconoclaste? Nous le savons tous, Aboul Kacem est né dans une famille de lettrés dont la lignée intellectuelle remonte fort loin dans le temps. Zeitounien, son père a également fréquenté El Azhar au Caire avant de devenir magistrat. C’est lui qui décida, un jour, de ce que serait l’avenir de son fils: Aboul Kacem, l’aîné de la fratrie, mettra ses pas dans ceux de son père et maintiendra la tradition. Ce ne sera pas le cas…

Parfois, j’imagine le dialogue de Chelbi au chevet de son père mourant. Je ne sais ce qu’ils ont pu se dire. Parfois, je pense à la mère d’Aboul Kacem, à sa lumineuse absence, à ce vide et ce silence qui l’entourent…

Tant de choses qui restent de Chebbi: des photographies où on le voit poser, sans chéchia, comme pour marquer une certaine irrévérence quant aux canons de l’époque; un journal, commencé au seuil des années trente, probablement parce qu’il considérait la décennie à venir lui appartenant; des articles parus ça et là dans des revues égyptiennes synonymes de notoriété mais aussi d’isolement… Et puis, tant d’amis qui contribuèrent à combler cette césure de Chebbi avec la culture occidentale. Aujourd’hui que nous savons comment ce poète s’imprégnait du dix-neuvième siècle poétique français ou anglais, l’homme n’en devient que plus admirable.

Tant de fois, j’ai suivi par la pensée le chemin de Chebbi vers le bureau de poste où il recevait probablement ses revues littéraires. Je l’ai souvent imaginé décachetant le précieux courrier, y découvrant les textes grossièrement imprimés, y communiant avec poètes arabes du Mahjar et traductions d’auteurs européens.

Peut-être  s’asseyait-il alors au café, seul sans être solitaire, pour se plonger dans la lecture, fier de figurer sur les mêmes pages que ceux qu’il avait appris à admirer…

Et puis vint le temps de l’incompréhension, celui où il dût, au fond, payer pour ses audaces. Isolé, irrémédiablement incompris ou considéré trop sulfureux, il connaîtra cette terrible désillusion du 13 janvier 1930.

En pensée, je recrée un Chebbi enthousiaste qui croyait ancrer davantage les idées développées dans sa première conférence; un Chebbi libéré qui, après la mort du père, avait choisi de rédiger son Journal; un Chebbi qui pensait certainement à une seconde souscription pour faire naître à la postérité son Diwan.

Cette seconde conférence fut un échec. Le Journal ne tarda pas à faire long feu. Et même cette seconde souscription ne portera pas ses fruits lorsqu’il finit par la mettre en œuvre. Miné par la maladie et la désaffection de son époque, le poète finira par se retrancher dans sa ville natale. Sa santé, malgré ses séjours dans des villes d’eau comme El Hamma ou Aïn Draham, ira en se dégradant. Jusqu’à la date fatidique de son admission à l’hôpital italien de Tunis. Chebbi n’avait que 25 ans. Il s’éteindra à l’aube du 9 octobre…

Chaque jour, je passe devant le seuil de cet hôpital. A la recherche de réminiscences, sur mon parcours quotidien. J’y retrouve, désincarné, absurde et libre, l’écho de Chebbi dans la solitude des villes. J’y retrouve aussi les longues pérégrinations du poète à travers la Tunisie. Car, qui mieux que Chebbi a dit le romantisme qui émane des forêts de Zaghouan ou des ruisseaux de Khroumirie? Qui a su aussi bien chanter le bruissement les palmeraies et les plaines de Siliana? La subtilité andalouse de Ras Jebel et l’air pur de la steppe entre Thala et Kasserine… Ses multiples traversées du pays ont bel et bien nourri sa poésie, contribué au grand accord qui existe entre nous et ses mots. Nul, autant que lui, n’a su dire l’essence divine qui émane de toute chose, la beauté fugace que seuls savent capturer les authentiques poètes, guetteurs d’instants d’éternité.

Cent ans après, Chebbi demeure intact, sublimant nos vies de ses mots. Mais bien plus que cela, Chebbi nous aura appris à devenir des individus, des êtres de courage et d’émotion, animés par une cardinale volonté de vivre. Chebbi nous aura appris à aller au bout de nos passions même si les vents sont contraires ou que la maladie instille le doute. A nous, un siècle après sa naissance, de savoir le relire, le comprendre, l’expliquer sans grandiloquence.

Pour ma part, l’ombre et l’écho d’Aboul Kacem n’ont jamais cessé de me hanter. Il me suffit de traverser ce passage invisible qu’est Bab Bhar, remontant la grande rue de la médina, pour être assailli par des milliers de voix et de visages qui me disent les espoirs et les polémiques d’hier tout en me faisant rêver à la puissance rétroactive de toute poésie. Et à toutes ces paroles de Chebbi qui continuent à vivre dans nos cœurs…


Hatem Bourial

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Le Club 109 est un espace de débat réunissant des intellectuels de toutes générations et disciplines. Les débats organisés au sein du Club 109 traitent de la culture, de la prospective, et des questions contemporaines.

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Fouq Essour est un atelier d’art et de création littéraire fondé en 1982 par Hatem Bourial au souk des chéchias de la médina de Tunis.

Au fil des ans, Fouq Essour a animé un cercle de traducteurs littéraires, un nombre important de séminaires et forum intellectuels, ainsi que plusieurs autres initiatives.

Situé au coeur de la médina de Tunis, Fouq Essour est un espace culturel convivial et pluriel réunissant écrivains, artistes et intellectuels de Tunisie et d’ailleurs autour de questions historiques et contemporaines.

Fouq Essour est un espace privé, une initiative citoyenne dans le domaine culturel, qui ne bénéficie d’aucune subvention, de quelque nature que ce soit.

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